Confidences | CHANOIR

| INTERVIEW |

Depuis près de trois décennies, l’œuvre de CHANOIR se déploie dans l’espace urbain comme dans les circuits institutionnels de l’art contemporain. Artiste franco-colombien formé aux Beaux-Arts de Paris, il développe un langage pictural singulier, à la croisée du post-graffiti, de la figuration libre, nourri d’un imaginaire collectif joyeux et traversé par un certain esprit d’enfance.

Les figures félines qu’il nomme les CHAS, véritables totems graphiques, incarnent une quête de mouvement, d’universalité et de lien. Dans cet entretien, CHANOIR revient sur son parcours, ses influences, et sur cette nécessité de créer une œuvre ouverte, accessible, et traversée par les langages visuels de la culture contemporaine.

GALERIE VERMEULEN

Tu es arrivé de Bogota à Paris à l’âge de 6 ans ; comment as-tu vécu ce déracinement ?



CHANOIR

On a suivi mon père, qui exposait au Grand Palais et il a décidé qu’on resterait en France. J’ai grandi entouré d’autres artistes qui avaient fait le même choix : les amis de mes parents étaient tous peintres, il y avait des ateliers partout, des personnages hauts en couleur. Je ne sais pas si ça m’a influencé, mais j’ai vite compris qu’il y avait une certaine magie dans ce monde-là.

Avant de partir, mes parents m’avaient un peu préparé à ce pays où on ne parle pas la même langue. Alors j’avais appris "oui", "non" et "bonjour", j’étais surexcité. Mais la veille du départ, ils m’ont tendu une doudoune. J’ai dit : "Pourquoi manteau pour le froid ?" et j’ai commencé à avoir peur [rire]. Et après seize heures d’avion, j’ai débarqué dans un pays qui finalement ressemblait au mien… sauf que je ne comprenais rien. Les premiers mois, je n’osais même pas demander à aller aux toilettes. J’étais timide, j’ai même commencé à bégayer un peu. Comme je ne savais pas parler, je tapais — parce que je ne voulais pas qu’on pense que j’étais bête. Alors je frappais, du coup j’étais sûrement bête quand même ! [rire]

Exposition de l'artiste Chanoir au Musée d'art contemporain de Bogota en Colombie. Des peluches sont accrochées au plafond par des cordes. Une installation pop art de 2015. Exposition de l'artiste Chanoir au Musée d'art contemporain de Bogota en Colombie. Des peluches sont accrochées au plafond par des cordes. Une installation pop art de 2015.

Installation CHANOIR - Musée d'Art Contemporain de Bogota - 2015

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Comment ton double héritage franco-colombien se reflète-il dans ton travail ?



CHANOIR


Je me sens avant tout de culture française, j’ai grandi ici, j’ai fait un bac scientifique avant les Beaux-Arts, j’ai été nourri par la télévision et l’école publique. Mais en même temps, la Colombie est toujours là, en arrière-plan. Je parle tous les jours espagnol, je retourne régulièrement à Bogotá, Carthagène et Las Islas. C’est un équilibre instable : enfant, je me sentais colombien en France, puis français en Colombie. Il m’a fallu du temps pour accepter ce double ancrage, cette schizophrénie culturelle qui, finalement, est une richesse.

Dans mon travail, c’est plus inconscient. J’ai des influences latino-américaines, amérindienne, voire précolombienne. Il y a quelque chose dans ces formes minimalistes, ces figures animales, qui résonne avec ce que je fais. Mon chat, mon CHA, c’est un totem. Mais mes influences sont multiples : les mangas, les dessins animés japonais, la pop culture globale.

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Tu as grandi auprès de ton père, lui-même artiste [Gustavo Vejarano, ndlr]. Comment cette transmission a-t-elle influencé ton rapport à l’art ?



CHANOIR

C’est toujours une histoire de fils qui doit détrôner le père, non ? [rire] Être peintre comme mon père, c’était un défi. Il y a une dimension de compétition dans l’art, comme dans le graffiti. Avec le temps, j’ai compris que ce n’était pas question de mieux faire, mais de trajectoires différentes, de chemins en réalité qu’on trace pour soi-même. Ce dont j’ai hérité, ce n’est pas seulement l’envie de peindre, mais l’idée que peindre, c’est parler. Un dialogue silencieux, mais continu, l’odeur de la térébenthine, la vision des toiles en train de sécher, le cycle de création qui dure toute une vie. Mon père m’a transmis cette idée que la peinture est une conversation infinie. Si j’arrive avoir un dialogue avec la peinture aussi long que lui, alors j’aurai eu une belle vie.

Sculptures de Chanoir représentant des chats en posture de prière, photographiées en noir et blanc dans l'atelier de l'artiste – série artistique exposée par la Galerie Vermeulen. Sculptures de Chanoir représentant des chats en posture de prière, photographiées en noir et blanc dans l'atelier de l'artiste – série artistique exposée par la Galerie Vermeulen.

« En peinture, il faut parfois désapprendre pour trouver son propre langage. Je cherche à atteindre l’épure sans tomber dans le lisse, préserver l’accident dans la maîtrise »

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Devenir artiste était une évidence pour toi ?



CHANOIR

J’aimais dessiner, oui, mais ce qui me plaisait c’était la comédie. Mais j’ai voulu entrer dans le rang et j’ai fait une première année de Médecine pour devenir chirurgien comme mon grand-père dont je porte le nom. Mais j’étais nul [rire], à l’époque j’avais les cheveux bleu, un piercing et je passais mon temps à faire du skate et du graffiti. Un jour une copine m’a fait découvrir le bâtiment des Beaux-Arts et j’ai eu une révélation. Je me suis dit que si je réussis à vivre de mes tableaux, ça me permettra de ne pas avoir à m’inscrire dans la société. Je ne voulais pas entrer dans la logique classique du travail, avec ses horaires, son cadre rigide. L’art, c’était une façon d’échapper à ça, de créer ma propre manière d’exister.
Heureusement ça n’a pas été un problème avec ma famille, mon père avait déjà fait le coup en fuguant à 17 ans de son école privée, donc ils ne s’attendaient pas à plus d'un fils de hippie.



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Ta vie artistique s’est construite entre Paris, Barcelone et la Colombie. Comment ces trois villes ont façonné ton art ?



CHANOIR

À Paris, j’ai grandi entouré d’artistes, avec des parents hippies, ce cadre m’a permis de m’autoriser à être créatif. Barcelone, c’était l’explosion de liberté. J’y suis parti en Erasmus, je suis allé faire un documentaire autour de la scène Street Art de Barcelone et par conséquent en réalité, j’ai très peu mis les pieds aux Beaux-Arts là-bas : j’étais dans la rue, je peignais tous les jours. Il y avait une permissivité incroyable : on taguait sans autorisation, mais sans interdiction non plus. C’était une sorte de "vandale pas vandale" où l’illégalité était tolérée. Ça a été un moment de fièvre créative.  Et puis il y a eu la Colombie. Là-bas, j’ai exposé à la galerie Cometá, une des plus grandes de Bogotá. C’était surréaliste : à Paris, j’étais juste un étudiant aux Beaux-Arts, et là-bas, j'avais une grande visibilité, j’étais dans le journal de 20h, cette expérience m’a donné confiance.

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Aux Beaux-Arts de Paris, tu as été formé par des figures comme Jean-Michel Alberola. Quels souvenirs marquants gardes-tu de cette période ?




CHANOIR

Les Beaux-Arts, ce n’est pas tant un apprentissage académique qu’une immersion dans un rythme de vie. J’étais un des élèves les plus assidus : 9h-21h, tous les jours. J’adorais ça. Avoir un atelier, voir naître de nouvelles toiles en permanence. Mais ce n’est pas un endroit où on t’apprend réellement à peindre. C’est une école où tu t’imprègnes, où tu trouves ton propre langage.

Avec mon groupe, on était un peu les mauvais éléments de l’école. On graffait les parties communes, jusqu’au jour où l'un de nous a balancé par la fenêtre du directeur toutes les œuvres de 3 ateliers et on a dû arrêter nos conneries.

J’ai eu la chance d’être assistant de François Boisrond, qui s'essayait au graffiti. J'ai aussi été massier de l’atelier de Jean-Michel Alberola, avec qui on avait un rapport presque filial. Puis, à la sortie de l’école, j’ai rencontré les frères Di Rosa. J’ai partagé l’atelier de Richard pendant quatre ans, exposé aux côtés d’Hervé, qui est devenu une grande influence pour moi. C’est lui qui m’a amené à penser l’art modeste, à faire le lien entre figuration libre, post-graffiti et logo art.

C’est aussi à cette époque que j’ai exposé à la Fondation Cartier avec le Collectif 1980. On faisait des installations un peu punk, entre arte povera pop et esprit de bande. On était dans une recherche libre et décomplexée.

Portrait noir et blanc de l'artiste Chanoir - représentée par la Galerie Vermeulen - dans son atelier parisien. L'artiste un genou au sol, tient une bombe de peinture acrylique dans ses mains et s'apprête à peindre sa toile. Crédit photo : Flora Mathieu. Portrait noir et blanc de l'artiste Chanoir - représentée par la Galerie Vermeulen - dans son atelier parisien. L'artiste un genou au sol, tient une bombe de peinture acrylique dans ses mains et s'apprête à peindre sa toile. Crédit photo : Flora Mathieu.

« Ce dont j’ai hérité, ce n’est pas seulement l’envie de peindre, mais l’idée que peindre, c’est parler. Un dialogue silencieux, mais continu»

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Comment décrirais-tu ton rapport à la peinture et l’évolution de ton style ?




CHANOIR

En peinture, il faut parfois désapprendre pour trouver son propre langage. C’est comme au basket : le geste, à force, devient une mémoire musculaire. Chez moi, ce sont quelques lignes droites, quelques courbes — le reste, c’est pas mes lignes. Pourtant j’aime ce qui est maladroit, ce qui dérape. L’imperfection donne du charme. C’est le principe même de l’expressionnisme : ce qui n’est pas maîtrisé raconte autant, parfois plus. J’admire les artistes qui peignent avec une sorte d’évidence, fluidité — comme Picasso ou Miró. Je recherche à atteindre l’épure sans tomber dans le lisse, préserver l’accident dans la maîtrise.




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Et ce langage, tu l’as forgé autour de tes CHA. Comment cette figure est-elle née ?




CHANOIR

Dès mes débuts, en 1996, le chat s’est imposé peu à peu, au début c'était un clin d’œil à Steinlen et son Chat Noir, puis une figure tendre, à contre-courant du graffiti de l'époque. C’est devenu une figure-totem. Aujourd’hui encore, je les peins dans la rue, ils appartienent à la ville, à ceux qui tombent dessus par hasard.

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Tu es aujourd’hui Chevalier des Arts et des Lettres. Qu’est-ce que cette reconnaissance représente pour toi ?




CHANOIR

Avec cette distinction, on me disait : « tu as fait du bon travail ». Je suis issu de l’immigration, donc pour moi c’est une forme de reconnaissance que je recherchais enfant.

Chanoir (né à Bogota en 1976, vit et travaille à Paris) est un artiste franco-colombien issu de la scène post-graffiti des années 90. Formé aux Beaux-Arts de Paris, il développe très tôt un langage graphique singulier à travers ses « CHA », personnages félins à la frontière du totem et de l’icône pop. Son travail est présenté dans de nombreuses expositions en France et à l’international, et s’inscrit aujourd’hui dans le dialogue entre art urbain, figuration libre et culture populaire.

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